Signez la pétition !
Genève, le 13 novembre 2025
À l’attention
de la Direction de l’Orchestre de la Suisse Romande (OSR)
du Conseil de Fondation de l’Orchestre de la Suisse Romande (OSR)
de M. Thierry Apothéloz, Conseiller d’Etat en charge du DCS
du Service cantonal de la culture de la République et Canton de Genève
de Mme Joëlle Bertossa, Conseillère administrative en charge du DCTN
du Service culturel de la ville de Genève
de l’Office fédéral de la culture
Objet : Soutien à l’artiste licenciée avec effet immédiat par l’Orchestre de la Suisse Romande (OSR) le 10 novembre 2025 et appel à la responsabilité éthique des institutions culturelles
Nous, institutions, associations et personnes signataires, exprimons notre profonde préoccupation à la suite du licenciement immédiat d’une employée engagée ponctuellement par l’Orchestre de la Suisse Romande (OSR) comme narratrice dans le spectacle “Léna et l’orchestre enchanté”. Ce licenciement est survenu sans avertissement préalable, après que la narratrice a salué le public, à l’issue de la représentation du samedi 8 novembre, un keffieh sur les épaules en guise de châle.
Cette sanction a, par ailleurs, eu pour effet de priver l’artiste des rémunérations contractuellement prévues pour les deux représentations encore à venir.
Ce geste, accompli pacifiquement à l’issue d’une performance publique, au moment des applaudissements, exprimait un soutien moral à la population civile de Gaza alors que de nombreux organes internationaux décrivent la situation humanitaire sur place comme catastrophique et marquée par de graves violations du droit international. Le 16 septembre 2025, la Commission d’enquête internationale indépendante de l’ONU sur le territoire palestinien a déclaré que la population palestinienne était victime d’un génocide commis par l’Etat d’Israël conformément aux critères définis par la Convention sur le Génocide de 1948. Déclaration qui survient plus d’un an après que la Cour de Justice International (CIJ) et que la Cour Pénale Internationale (CPI) se soient prononcées très clairement sur la situation à Gaza.
Dans ce contexte, le port d’un keffieh par l’employée, comme vêtement traditionnel devenu symbole culturel et humanitaire de solidarité avec le peuple palestinien, était un signe pacifique d’empathie et de respect des droits humains. Sanctionner un tel geste, c’est confondre solidarité et idéologie.
La Direction de l’OSR s’est empressée de faire parvenir une lettre à tous.tes les spectateur.ices dont le contenu ne laisse aucun doute sur le motif du licenciement et dans laquelle l’intention de la narratrice est interprétée et condamnée.
La culture n’existe qu’en relation avec la société qu’elle habite et ses réalités. Face à des violations flagrantes des droits humains, la neutralité ne peut consister à se taire ni à occulter des faits reconnus au niveau international. Les institutions culturelles ont la responsabilité de préserver des espaces de dialogue, de mémoire et de conscience. Rester silencieux face à de telles violations des droits humains ne relève pas de la neutralité, mais revient à prendre position pour leur perpétuation et traduit une distance préoccupante vis-à-vis de toute empathie humaine.
Nous relevons que l’OSR a, par le passé, déjà exprimé publiquement sa solidarité à l’égard d’autres populations victimes de guerre, notamment en Ukraine. Une différence de traitement dans la reconnaissance de la souffrance affaiblit la crédibilité de la neutralité invoquée. Cette incohérence interroge la portée réelle de la neutralité revendiquée et, plus largement, la place reconnue à la conscience individuelle au sein des institutions culturelles. Le caractère apolitique d’une institution ne saurait impliquer la neutralisation des convictions personnelles de celles et ceux qui y travaillent. Il ne peut interdire l’expression d’un geste pacifique de solidarité envers des victimes civiles.
Cette approche est conforme à l’esprit et à la finalité de la Loi fédérale sur l’encouragement de la culture (LEC). Les articles 2 à 4 engagent la Confédération et les institutions qu’elle soutient à favoriser la diversité culturelle, à promouvoir le dialogue entre les cultures et à respecter la liberté artistique. Le Message culture 2025–2028 du Conseil fédéral rappelle que la liberté d’opinion et la liberté de l’art (art. 16 et 21 Cst.) sont les fondements mêmes de la politique culturelle suisse et que la création artistique ne peut s’épanouir que dans un environnement respectueux des droits fondamentaux (FF 2024 2775, p. 2780-2781). Ces principes orientent la mise en œuvre de la LEC et forment un cadre de référence auquel les institutions subventionnées doivent se conformer, notamment lorsqu’il s’agit de protéger des expressions symboliques, pacifiques et humaines.
Ces principes ne concernent pas seulement la politique publique de la culture, mais engagent également la responsabilité des institutions dans leurs pratiques internes. Ils doivent se refléter dans la gestion des rapports de travail, en particulier lorsqu’il s’agit d’artistes dont l’activité repose précisément sur la liberté d’expression et la liberté artistique.
Aucune atteinte concrète, directe et grave aux intérêts de l’employeur n’a été démontrée. L’invocation d’une prétendue « neutralité » institutionnelle, non prévue par le contrat et sans effet juridique, ne saurait constituer en droit suisse un juste motif de licenciement immédiat, sans avertissement.
Nous réaffirmons notre attachement à une culture qui assume de prendre position en faveur du respect des droits humains et de la dignité humaine. La mission des institutions culturelles n’est pas de se réfugier derrière une apparente neutralité, mais de reconnaître que toute pratique culturelle engage une responsabilité : celle de percevoir, d’éprouver et de témoigner. La solidarité et l’empathie, dans ce sens, sont des manières d’habiter le monde dont le milieu culturel fait pleinement partie.